La Spiruline, une bonne copine?
Comme promis, voici quelques nouvelles de la spiruline !
Très prisée des sportifs, cette micro-algue (en fait une cyanobactérie) pèse très lourd commercialement : en Chine par exemple, sa production a augmenté de 226% en 7 ans, atteignant 62’300 tonnes en 2010 selon la FAO et son taux de croissance annuel fait dire aux experts qu’elle génèrera un marché de 651 millions de dollars d’ici 5 à 6 ans.
En France, et plus récemment en Suisse, plusieurs entreprises se sont lancées dans la culture de la Spiruline et misent sur la proximité, la culture biologique et les caractéristiques nutritionnelles pour capter l’attention des personnes soucieuses de leur santé.
Composition nutritionnelle : tout est relatif !
Il faut dire que la Spiruline a tout pour plaire : comme le rappelle mon collègue Nicolas Aubineau sur son site internet, elle a une fantastique densité nutritionnelle : riche en protéines et en fer, elle est aussi pourvoyeuse de bons acides gras, de vitamines, de magnésium et d’autres oligo-éléments. Autrement dit, elle semble parfaite ! Sa composition exacte peut toutefois énormément varier selon les espèces et les conditions de culture, comme le rappelle ma collègue Leila Sahinpasic, qui se passionne pour les caractéristiques nutritionnelles des algues depuis longtemps. Exactement comme la qualité nutritionnelle de la viande dépend de ce qu’a mangé l’animal durant sa vie en fait.
Elle semble parfaite, mais sa richesse nutritionnelle est toute relative. Sa teneur en protéines est très élevée parce qu’elle est indiquée par rapport à la masse sèche : 60 g de protéines pour 100 g d’extrait sec de spiruline. C’est énorme. Mais 100 g de spiruline desséchée, c’est énorme aussi (en paillettes, elle se vend souvent en paquets de 50 ou 100 g). Autrement dit, pour consommer 20 g de protéines, soit l’équivalent de deux œufs, il faudrait consommer plus d’un tiers du paquet de spiruline vendu CHF 45.- (soit CHF 15.- la portion de protéines !). En général, les conseils de consommation tournent autour de 5 à 10 g de Spiruline par jour, soit… 3 à 6 grammes de protéines.
Le fer de la Spiruline n’a peut-être pas l’effet attendu
L’autre grand argument de vente de la spiruline est sa teneur en fer. Selon les sites de vente en ligne, elle est particulièrement recommandée pour les personnes qui manquent de fer, et permettrait de lutter contre la fatigue, notamment chez les sportifs. Et il est vrai que peu d’aliments peuvent rivaliser avec 100 mg de fer par 100 g de produit ! Les aliments les plus riches en fer (le boudin par exemple) en comportent 22 mg/100 g. La viande séchée en contient environ 10 mg par 100 g d’aliment ; et les pâtes, épinards et lentilles cuites seulement 2 à 3 mg les 100g.
Pour investiguer si la Spiruline a un véritable effet sur la performance physique et la fatigue, deux de mes étudiantes, Christelle Ducrest et Elodie Bapst, ont compulsé (presque) toute la littérature scientifique sur le sujet, dans le cadre de leur Travail de Bachelor en Nutrition et diététique à la Haute Ecole de santé de Genève.
Ce qui frappe d’abord, c’est le manque de bonnes études. Plusieurs d’entre elles ont bien commencé : tirage au sort des participants en deux groupes, dont l’un recevait de la Spiruline, et l’autre un placebo. Le problème était qu’ensuite, au lieu de comparer les résultats observés dans le groupe « spiruline » avec ceux du groupe « placebo », de nombreux chercheurs ont comparé les résultats avant et après la prise de produit. Ce qui est une aberration d’un point de vue méthodologique, puisque ceci ne permet pas de s’assurer que c’est bien l’effet du produit que l’on évalue.
Au final, il ne restait que 5 études de bonne qualité menées chez des humains. Une seule s’est intéressée à la concentration de fer plasmatique (malheureusement pas chez des athlètes). Et là, patatras. On s’est frotté les yeux plusieurs fois, tant les résultats étaient inattendus : le groupe supplémenté en Spiruline voyait son taux de fer diminuer, contrairement au groupe placebo (Suliburska et al. 2016) !
Quant aux autres études, elles peinaient à montrer un effet sur la performance physique, notamment chez des sportifs. L’une d’entre elles montraient une légère amélioration de la performance chez 9 hommes entrainés à qui l’on demandait de courir sur un tapis roulant pendant 2 heures à 70-75% de leur VO2max, puis de monter à 95% de leur VO2max jusqu’à épuisement : ceux qui avaient reçu de la spiruline tenaient 40 secondes de plus que les autres (Kalafati et al. 2010). C’est bien, mais pas spectaculaire, vous en conviendrez.
Une autre étude a inclus un plus grand échantillon : 52 sujet (uniquement des hommes !), tous sédentaires et en surpoids. Chez eux, la supplémentation en Spiruline était aussi associée à une meilleure performance, mais les auteurs ne fournissent aucun chiffre précis dans leur publication, donc il est impossible de connaitre l’ampleur de l’amélioration (Hernandez-Lepe et al. 2019). Les autres publications (Franca et al. 2010; Lu et al. 2006) ne montrent pas un effet direct sur la performance ou la fatigue.
Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain
On aurait vite fait de conclure que la Spiruline est inutile.
Je dirais plutôt qu’en l’état actuel des connaissances, la prudence est de mise. Je ne recommanderais pas la Spiruline pour quelqu’un qui manque de fer, ou alors avec un monitoring fréquent pour s’assurer de son effet (mais ça me semble assez lourd et cher à mettre en place). Et puis, je ne la recommanderais pas non plus pour compléter un apport en protéines, il y a des manières moins coûteuses pour atteindre cet objectif.
Pour le reste, même si on ne peut pas affirmer avec certitude qu’elle a un bénéfice sur la performance ou la fatigue, il y a trop peu d’études pour prétendre qu’elle ne sert à rien.
Comme souvent en nutrition, on manque d’études bien faites, on manque d’études chez les femmes, on manque d’études qui ont pris en compte les autres paramètres qui peuvent influencer la performance et la fatigue.
Et comme souvent en nutrition, les arguments de vente ne sont pas étayés de manière bien solide.