Pourquoi Nestlé va appliquer le Nutri-Score
Le communiqué a été repris par la presse de toute la Suisse : Nestlé va appliquer le Nutri-Score ! La NZZ, le Temps, Bilan, tous les journaux régionaux, la RTS, l’information doit être importante, pour mériter tant de place !
Mais pourquoi est-ce si important ? Et surtout, pourquoi Nestlé, qui avait dans un premier temps rejeté le Nutri-Score, décide de l’appliquer à ses produits, après tout ?
Rendre les choix sains plus simples
Le Nutri-Score, c’est une appréciation visuelle de la qualité nutritionnelle des aliments. Un peu sur le modèle de la qualité énergétique des appareils électroménagers, il propose 5 niveaux, du meilleur (vert accompagné de la lettre A) au pire (rouge avec lettre E)1.
Facilement compréhensible, méthodologie transparente et pertinente, élaboration par des scientifiques indépendants (sous la houlette du Professeur Serge Hercberg, une sommité dans le domaine de l’épidémiologie nutritionnelle), impact mesurable sur la qualité des aliments choisis par les consommateurs… les professionnels de santé publique et la FRC2ne tarissent pas d’éloges à son sujet. Il y a quelques semaines, j’appelais de mes vœux son adoption obligatoire au niveau national, pour qu’enfin un guide fiable et pertinent contribue à rendre les choix sains plus simples3.
D’où viennent les critiques ?
C’est important pour la santé publique, quoi qu’en disent ses détracteurs. Car bien sûr, le Nutri-Score suscite des critiques ! Par exemple, la Communauté d’intérêts du commerce de détail suisse déplore que le Nutri-Score « ne tien[ne] pas compte des besoins nutritionnels individuels ». Je vais donc m’empresser de rassurer Coop, Migros, Denner et Manor (qui sont représentés par cette « communauté ») : les besoins nutritionnels en fibres, sel, sucre et graisses saturées sont plutôt semblables d’une personne à l’autre. Si ces entreprises se souciaient vraiment des besoins nutritionnels de leurs clients, ils vendraient moins d’aliments qui n’ont aucun intérêt nutritionnel – à commencer par les boissons sucrées, céréales de petit déjeuner ultra-transformées et autre « junk-food ». Cette même « communauté » critique le « manque de transparence » alors que c’est un des points forts de ce score : la méthode de calcul est en accès libre4.
Message brouillé, vraiment ?
Le Nutri-Score peut réellement aider les consommateurs à faire les bons choix sans se prendre la tête. Et c’est bienvenu, parce que qui a envie (et la compétence) d’analyser en détail la composition nutritionnelle au moment de faire les courses ? Certes, c’est un label de plus. Ça pourrait « brouiller le message », ai-je entendu. A mon avis, ce qui brouille le message, c’est le marketing qui parvient à vendre un produit à base d’huile et de sucre en faisant croire qu’il est riche en lait et en noisettes. Le Nutri-Score ne brouille rien du tout, il clarifie !
Nestlé, la santé et le business
Le Nutri-Score peut vraiment améliorer la santé publique. Mais tous les articles relatant l’adoption du Nutri-Score par Nestlé figurent dans les pages « économiques ». Alors qu’en général, quand c’est bon pour la santé, ce n’est pas très bon pour l’économie… ou plutôt, ce qui est vraiment mauvais pour la santé, c’est excellent pour l’économie.
Alors, pourquoi Nestlé adopte le Nutri-Score ?
Je ne peux que supposer… Mais lorsque je lis que Nestlé se donne 2 ans pour mettre en place le Nutri-Score, j’imagine que cette entreprise va débuter le déploiement sur les produits qui mériteront le label vert foncé et la lettre A. C’est plutôt un bon argument de vente, lorsque la concurrence (à part Danone et Fleury Michon) ne l’utilise pas. Et puis, c’est toujours plus confortable pour une entreprise de garder la main, c’est-à-dire déployer le Nutri-Score sur une base volontaire, plutôt que de subir une loi qui l’obligerait à le faire – ceci ne risque (hélas) pas d’arriver en Suisse, mais la France est plus volontariste en matière de santé publique et pourrait bien légiférer. Finalement, mais c’est aussi une supposition, c’est un bon coup de pub. Comme je vous le disais en introduction, toute la presse du pays a relayé l’information – alors c’est bon pour le Nutri-Score, mais c’est surtout bon pour Nestlé, qui s’est très clairement positionnée sur le marché de la santé et du bien-être depuis quelque temps déjà.
Je me réjouis bien sûr de cette décision. J’espère que les autres vont suivre. Mais j’espère surtout que le Nutri-Score ne sera pas utilisé comme un alibi et déployé uniquement sur les emballages d’aliments de bonne qualité nutritionnelle.
1 https://www.thelancet.com/journals/lanpub/article/PIIS2468-2667(18)30009-4/fulltext
2La Fédération romande des Consommateurs
3Le Matin Dimanche du 16 juin 2019
4http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0006/357243/PHP-Vol3-Issue4-December-2017-rus.pdf#page=178